Premières lignes n°193

Domaine de Tiplitz, près de Marienburg, Prusse-Orientale, avril 1938
Cette année, il faut s’attendre à de grands changements. Voilà ce qu’a annoncé la grand-mère, le soir de la Saint-Sylvestre, après avoir selon la coutume jeté du plomb dans de l’eau pour lire l’avenir. Puis elle s’est absorbée dans la contemplation du feu qui brûlait dans la cheminée. Elle a beau ne pas supporter son aïeule – et le sentiment est réciproque –, Luisa n’en est pas moins convaincue de la justesse de sa prédiction. C’est ce ciel… jusque-là, elle n’avait jamais remarqué la beauté des nuages, leurs formes et leurs couleurs toujours changeantes, la rapidité avec laquelle ils passent et se dissipent. Alors que Joschka les aide, elle et ses cousins, à seller les chevaux, le ciel paraît couvert d’un marbre veiné de gris: c’est une masse épaisse, friable, brillant à l’est d’une lueur rougeâtre.
— On dirait la lave crachée par le grand Vésuve, fait observer Oskar. Elle a recouvert la ville de Pompéia, et tous les habitants ont été étouffés et brûlés…