Premières lignes n°208

Deux jours. Voilà deux jours que mon père et moi sommes cloîtrés dans ce petit appartement sans âme qui a connu d’autres vies que la nôtre. Nous jouons aux dominos, à la coinche ou au 421 pour user les heures. Quand faire semblant de nous amuser nous lasse, nous partons chacun dans notre coin, murés dans nos silences. Pour tromper l’ennui, mon père relit ses romans de Simenon, de George Orwell, ou ses livres sur la Révolution française que nous avons rapportés de Paris dans des cartons mal ficelés. Moi, je me cale dans le sofa d’où j’ai vue sur la place de Belcourt. Quelques adolescents, cireurs de chaussures, toujours les mêmes, bravent le couvre-feu, et des grappes de gamins ont improvisé des buts avec des pavés pour jouer au football, indifférents aux allées et venues des parachutistes en patrouille avec leurs chiens d’attaque. Lorsque j’en ai assez de ce spectacle d’hier, d’aujourd’hui et de tous les jours, j’étudie mes dossiers et rédige des notes pour mes plaidoiries.