Premières lignes n°226

Malgré ma destinée inhabituelle, je suis entrée dans la vie comme une enfant ordinaire, née comme tous les autres dans un flot de sang et de cris de joie. Même si, dans mon cas, ils furent suivis d’une certaine confusion.
Mes parents étaient roi et reine d’un royaume dans la rocheuse Grèce, du nom de Mycènes. Quand ma mère, Astydamie, apprit qu’elle attendait un enfant, mon père, Alcée, quitta Tirynthe, la capitale mycénienne, et partit à travers les montagnes. Il traversa des vallées désolées et chevaucha entre des falaises escarpées où nichaient des griffons, jusqu’à arriver enfin devant une porte ornée des mots « CONNAIS-TOI TOI-MÊME ». Ce n’était pas son propre destin qu’il souhaitait apprendre de l’Oracle de Delphes, mais celui de son enfant à naître. Mon destin. Allais-je venir au monde en bonne santé, pleine de force ? Que deviendrais-je en grandissant ?
Lorsque mon père entra dans la salle obscure de l’Oracle, creusée à même la terre, deux choses le frappèrent. En premier, l’odeur, chargée de soufre et d’autres substances moins reconnaissables. Puis la vue de la femme assise sur un trépied de bronze au-dessus d’un précipice. Elle était vêtue d’un péplos qui enveloppait son corps dans des plis de tissu jaune, et portait ses cheveux en une tresse bien nette autour de la tête. C’était l’Oracle, et elle dévisageait Alcée de ses yeux hors du temps.
Mon père frissonna. Il était roi, habitué à ce que les gens tentent de lui extorquer des faveurs, mais cette femme ne voulait rien de personne.