Premières lignes n°220

« — Pour que ça brille, faut cracher !
Le môme ouvrait de grands yeux ahuris. Il devait avoir dans les douze ans, le teint livide sous la crasse qui maculait son visage.
— Cracher sur leurs chaussures, tu te fous de moi ?
Isidore ne se démonta pas.
— Faut cracher, je te dis, ils adorent ça.
Isidore avait une manière bien à lui, pas un long jet de salive mais des mouvements de bouche, pffft, pffft, pffft. Il expulsait ses crachats comme autant de petites billes qui s’en allaient crever baveuses sur le cuir, quelque chose de tonique, de pas dégoûtant. Deux ans qu’il était cireur et qu’il campait sa chaise, sa boîte et son bidon contre les grilles du parc de Bowling Green, des grilles en fer forgé bien serrées, hérissées de piques. Ce n’était pas le pire des petits boulots, 10 cents pour un cirage en bonne et due forme. La plupart de ses clients étaient généreux, certains lui donnaient même le double, ce qui faisait peut-être de lui l’un des cireurs de chaussures les mieux payés de la ville. »
Extrait de
L’Inconnue du portrait
Peretti, Camille de
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